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Éloge de la lenteur

23 mai 2010

Pierre Gras vagabonde

 

Cet imprécis de voyage est un incontournable compagnon de réflexion sur le voyage, la lenteur, le vagabondage et tant d'autres errances et circumnavigations, tant mentales que physiques.
Pierre Gras est journaliste et éditeur. Auteur d'essais et de récits de voyage consacrés au monde urbain, il a notamment publié «Médias et citoyens dans la ville» et cet imprécis de voyage. Il vit en enseigne à Lyon.

Le flâneur des rivages en a extrait les passages les plus résonnants, les mieux connectés à sa propre réflexion sur son immobilité.
Que ceci vous invite à lire tout ce qui a été laissé pour compte...

L’imprécis de voyage

Petit imprécis de voyage à l’usage des navigateurs urbains ,
Paris, Homnisphères, collection Savoirs Autonomes,
2008, 136 pages.

De l’art de voyager sans se mouiller

En fait, on voudrait tous voyager sans se mouiller. Le beurre et l’argent du beurre, mais sans la mauvaise humeur de la fermière ni l’odeur de la ferme. Or, le voyage implique. Et il ne fera qu’impliquer davantage ceux qui feront l’effort de se tourner vers l’Autre, d’aller au delà des apparences. Autant le savoir, voyager, c’est choisir d’écouter sa peur et chercher à la dépasser. Accepter l’imprévisible non comme une malédiction, mais comme une opportunité. « Ce qui constitue le plaisir du voyage, c’est l’obstacle, la fatigue, le péril même, soutient Théophile Gauthier. Un des grands malheurs de la vie moderne, c’est le manque d’imprévu, l’absence d’aventure. 1 » Sinon, autant se transformer en valise et se laisser porter le plus rapidement possible jusqu’à chez soi, en espérant que rien de fâcheux n’arrive aux bagages – Morand disait d’ailleurs, par provocation, « je voudrais qu’on fit de ma peau une valise »…

Page 43

Nous sommes comme la voyageuse improbable de Bagdad Café lorsqu’elle pousse la porte de l’établissement : ni tout à fait la bienvenue ni tout à fait à sa place. Une Allemande en culotte de peau lâchée en plein western… En voyage, nous ne sommes plus nous-mêmes, nous sommes en nous-mêmes. Face aux autres, inconnus. Ce qui peut potentiellement arriver provoque une mise en question de soi. La question est d’ailleurs moins « qui suis-je?», que « jusqu’ou vais-je pouvoir aller?» Le voyage constitue moins une perte d’identité qu’une mise en abîme. Et c’est bien ce qui nous dérange.

Page 45

L’ambition du voyageur de parvenir à rencontrer l’Autre est donc à la fois immense, immodeste et, pour tout dire, inachevée. Elle aboutit parfois à un constat teinté d’amertume : « Il n’y a pas de plaisir à voyager. J’y verrais plutôt une ascèse », note Albert Camus 2. Le projet du voyageur s’en ressent forcément : « Être seul, pauvre de besoins, être ignoré, étranger et chez soi partout, et marcher, solitaire et grand, à la conquête du monde », recommande Isabelle Eberhardt 3. Vaste programme pour qui ne voudrait pas se mouiller.

Page 48

1. Voyage en Espagne (1840), La Palatine, 1982.
2. Carnets (mai 1935 – février 1942), Gallimard, 1962.
3. Écrits sur le sable, Grasset, 1988.


Marcher

Marcher, voilà la clé. Tous les grands voyageurs l’affirment : on ne sait rien d’un pays, d’une ville, d’un quartier, d’une rue, et même de soi, si on ne sait pas mettre un pied devant l’autre. […] Mais voilà, marcher éprouve le corps et l’âme. Le corps, tout d’abord. Théodore Monod, le premier, a su trouver les mots (et la modestie) pour dire les maux du voyageur péripatéticien 1. Monod s’est fait une philosophie personnelle, qui a – naturellement – rapport au temps : « Je suis un impatient. Mais on ne peut pas faire autre chose : il faut se mettre au rythme des gens du pays. Ils ne sont pas pressés. Si leurs chameaux ne sont pas là, ils seront peut-être là demain, ou dans huit jours. Ils ont raison. Ils ont adopté la cadence du cosmos. Nous, nous faisons semblant d’être pressés. Ce que nous faisons a-t-il une telle importance que nous devions adopter le pas de course?» 2

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Mais par les temps qui courent (pourquoi ne marchent-ils pas?) l’errance possède un goût sulfureux. Et meurt dans l’indifférence. Isabelle Eberhardt le pressentait depuis longtemps : « Un droit que bien peu d’intellectuels se soucient de revendiquer, c’est le droit à l’errance, le vagabondage. Et pourtant le vagabondage, c’est l’affranchissement, et la vie le long des routes, c’est la liberté 3. Cette liberté a toutefois un prix élevé, que les gens du voyage [les Tziganes] ne connaissent que trop : la méfiance, l’hostilité, la mise à l’écart, le ghetto. Comme le chantait Brassens, « les braves gens n’aiment pas / que l’on suive une autre route qu’eux ».
Pour le voyageur, trop souvent, à la fin du voyage, c’est le choc. À la plénitude du parcours succède la lucidité amère de l’arrivée : « Au retour de nos marches, écrit Jacques Lanzmann, tout nous paraît injuste parce que tout coule à flot, parce que tout s’étale et s’expose, parce que tout est à vendre et à acheter. […] Parce que là où les uns vont, pauvres mais libres, les autres vont, riches mais entravés. 4 » Rude bilan.

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1. L’émeraude des Garamantes, souvenirs d’un Saharien, réédition Actes Sud, 1999.
2. Propos recueillis par Jean-Pierre Langellier, in Le Monde, 18 mars 1997.
3. Op. cit.
4. Marches et rêves, J.-C. Lattès, 1988.


Au train où vont les choses

Sur cette planète, où tout devient accessible en quelques heures, la lenteur n’est-elle pas le nouveau luxe du voyageur? Elle nous permet de regarder à la bonne vitesse le film projeté derrière la vitre embuée, d’accumuler les paysages, les images, les saveurs, les odeurs. Un cosmopolitisme de sens que la mémoire se chargera de stocker et de classer fort heureusement de manière aléatoire. 

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Car on s’efforce d’éliminer partout l’incertitude du voyage et, depuis quelques années, en France, on vous rembourse une partie de votre billet de train en cas de retard supérieur à trente minutes. C’est appréciable, bien sûr. Mais ne l’oublions pourtant pas, […] les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne.

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De ports et d’autres

« Larguez les amarres » est une expression commode pour désigner ce mouvement qui consiste à abandonner un chez soi devenu trop confortable ou au contraire, trop risqué, au profit de l’inconnu, de l’incertain, donc de l’aventure potentielle. « Le rivage est une incitation à lire les lignes du monde », confirme le poète Kenneth White. Mais le large est aussi un appel à l’oubli de soi. 

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Un monde de villes

Jusqu’à Le Corbusier qui n’a pas de mots assez durs pour fustiger ces villes anciennes dont les rues ne sont même pas droites : « Vos rues tordues, vos toits tordus sont une paresse et un échec, fulmine-t-il. La rue courbe est l’effet du bon plaisir, de la nonchalance, du relâchement, de la décontraction, de l’animalité 1.» La ville traditionnelle et son « animalité » feraient-elles donc si peur? Il est vrai qu’on ne voyage plus pour se constituer un point de vue sur une ville, un pays, une civilisation, un moment de l’humanité, mais pour disposer de la vue, ce qui n’est pas pareil. 

Page 84

1. Cité par Marie-Claire Kerbrat dans Villes, voyages, voyageurs, actes de la rencontre, 2005


Tout se mérite

Multiplier les exemples ne changerait pas la donne : la tendance à la marchandisation touche tous les dispositifs du tourisme, du plus modeste au plus sophistiqué. Alors, quelle alternative? Small is beautiful? Évidemment. Éloge de la lenteur? Oui, on l’a assez répété. Respect des rythmes biologiques et de la diversité culturelle? Assurément. Et puis? Nous pouvons certes peser, à travers nos modes de vie, tant à domicile qu’en voyage, sur le désastre du monde. Mais comment se comporter légèrement? Les petits projets de développement ont la cote : on connaît en principe les bénéficiaires, les intermédiaires, les résultats. C’est rassurant. Mais comment ignorer le contexte général qui divise souvent par dix les efforts réalisés? 

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Pas facile d’inciter les touristes à prendre soin de leurs déchets ordinaires (emballages alimentaires, boîtes de conserve ou en plastique, piles et même linge usagé…) quand le tri sélectif ne concerne qu’un habitant sur cinq, en moyenne, en France. Pas davantage de leur imposer une marche un peu longue ou une balade urbaine quand la grande majorité des déplacements effectués en voiture dans les pays occidentaux porte sur moins d’un kilomètre… Soyons lucides, nous ne sommes pas différents quand nous partons : nous emmenons avec nous nos pratiques, bonnes ou mauvaises, nos courages et nos lâchetés, nos certitudes et nos nombreuses ignorances. 

Page 113

Pour d’autres aussi, pourtant plus aguerris ou plus introvertis, le retour de voyage a le goût de l’amertume : le monde n’a pas changé quand ils n’étaient pas là. Peut-être ne rentre-t-on que pour retrouver ses racines. […] « Je n’aime pas le mot « racines », et l’image encore moins, tranche l’écrivain Amin Maalouf 1. Pour nous, seules importent les routes. Ce sont elles qui nous convoient – de la pauvreté à la richesse ou à une autre pauvreté, de la servitude à la liberté ou à la mort violente. Elles nous promettent, elles nous portent, nous poussent, puis nous abandonnent ». Ces routes sont parfois celles de la liberté. Il existe sans conteste dans le désir de voyage une envie profonde, une pulsion, qui fait franchir bien des obstacles : langues, cultures, passeports, mythes, frontières, conflits, intolérances sous diverses formes… Mais il nous serait parfois utile de savoir pourquoi ce désir impérieux ne se consacre pas davantage à changer le monde, celui que nous traversons mais aussi celui que nous vivons au quotidien. À moins que cette quête, comme celle du Graal, n’ait d’autre but que de nous en éloigner, au bénéfice d’un mystère toujours plus épais. Celui de l’origine du monde. 

Page 115

1. Origines, Grasset, 2004.


« Mobilo, ergo sum »


C’est ainsi qu’en même temps que naissaient l’hyper-mobilité et ses conséquences mégapolitaines, émergeait une alter-mobilité non moins sérieuse qui, pour résumer, nous suggère que la mobilité peut finalement être synonyme de… lenteur. Une mobilité intelligente, qui « prendrait son temps ». Et qui regarderait vers l’ailleurs. « J’ai beaucoup voyagé, expliquait ainsi Jean Chesneaux, je suis allé à l’Île de Pâques, en Nouvelle-Guinée, au Canal de Panama, à Pétra en Jordanie, dans de nombreux endroits relativement insolites; or, voyager ce n’est pas seulement se déplacer dans l’espace, c’est vivre l’universalité de la relation au temps dans sa diversité. On mesure la relation au temps d’une façon très forte à travers une autre situation, un autre mode de sédimentation historienne que celui auquel on est habitué 1

Page 129

1. Entrevue donnée à La République des Lettres, 1er décembre 1996.

 

 

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20 février 2009

À propos...

 

« Vous avez droit aux récoltes, droit à la joie, droit au monde véritable, droit aux vraies richesses, ici-bas, tout de suite, maintenant, pour cette vie. Vous ne devez plus obéir à la folie de l'argent. »

Jean Giono, Les vraies richesses

 

« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque... À te regarder, ils s'habitueront. »

René Char

 

« Quittez tout, vous trouverez tout. »

François d'Assise

 

« Le temps n'a qu'une réalité, celle de l'instant. Autrement dit, le temps est une réalité resserrée sur l'instant et suspendue entre deux néants. »

Gaston Bachelard, L'intuition de l'instant

 

« Du moins est-il maintenant limpide et clair que ni le futur ni le passé ne sont rien et que l'expression: trois temps, passé, présent, futur, est impropre, mais que peut-être l'expression propre serait: trois temps, un présent où il s'agit du passé, un présent où il s'agit du présent, un présent où il s'agit du futur. Il y a, en effet, dans l'âme, trois données que je ne vois pas ailleurs: un présent où il s'agit du passé, le souvenir; un présent où il s'agit du présent, la vision; un présent où il s'agit du futur, l'attente. Me permettra-t-on de le dire? Ce sont trois temps que je vois et, je l'avoue, trois réalités. »

Saint Augustin, Confessions, XI

 

Gwel ar skeud hag e gavi ar sklerijenn [Vois l'ombre et tu trouves la lumière]

Maxime bretonne de cadran solaire, sur la place de Plougastel-Daoulas

 

En Bretagne, face aux éléments naturels, il faut faire preuve de beaucoup d'humidité.

Le flâneur des rivages

 

« Avec la vitesse, nous savons peut-être ce que nous avons gagné, en temps et en argent surtout, mais nous ne savons pas encore tout ce que nous avons perdu… »

Franck Michel, Voyage au bout de la route, 2004

 

« Quand on ne veut qu'arriver, on peut courir en chaise de poste, mais quand on veut voyager, il faut aller à pied. »

Jean-Jacques Rousseau, Émile, ou De l’éducation, 1762

 

« Je réponds d’ordinaire à ceux qui me demandent les raison de mes voyages : « je sais bien ce que je fuis, mais pas ce que je cherche. »

Michel Montaigne, Essais, 1588

 

« Heureusement, il y a les pannes! […] L’accroc dans la routine du quotidien. Avec la panne, enfin, le voyage devient dérive…»

Jean Meunier, Le monocle de Joseph Conrad, 1993

 

26 janvier 2009

Jean-Jacques Rousseau est de notre avis!

 

«Je ne connais qu'une manière de voyager plus agréable que d'aller à cheval, c'est d'aller à pied. On part à son moment, on s'arrête à sa volonté, on fait tant et si peu d'exercice qu'on veut. On observe tout le pays, on se détourne, à droite, à gauche; on examine tout ce qui nous flatte; on s'arrête à tous les points de vue. Aperçois-je une rivière, je la côtoie; un bois touffu, je vais sous son ombre; une grotte, je la visite; une carrière, j'examine les minéraux. Partout où je me plais, je reste. À l'instant où je m'ennuie, je m'en vais. Je ne dépends ni des chevaux ni du postillon. Je n'ai pas besoin de choisir des chemins tout faits, des routes commodes; je passe partout où un homme peut passer; je vois tout ce qu'un homme peut voir; et, ne dépendant que de moi-même, je jouis de toute la liberté dont un homme peut jouir.

Voyager à pied, c'est voyager comme Thalès, Platon et Pythagore. J'ai peine à comprendre comment un philosophe peut se résoudre à voyager autrement, et s'arracher à l'examen des richesses qu'il foule aux pieds et que la terre prodigue à sa vue... Qui est-ce qui, aimant un peu l'agriculture, ne veut pas connaître les productions particulières au climat qu'il traverse et la manière de les cultiver? Qui est-ce qui, ayant un peu de goût pour l'histoire naturelle, peut se résoudre à passer un terrain sans l'examiner, un rocher sans l'écorner, des montagnes sans herboriser, des cailloux sans chercher des fossiles? Combien de plaisirs on rassemble par cette agréable manière de voyager, sans compter la santé qui s'affermit, et l'humeur qui s'égaye. J'ai toujours vu ceux qui voyageaient dans de bonnes voitures bien douces, rêveurs, tristes, grondants ou souffrants; et les piétons toujours gais, légers et contents de tout. Combien le coeur vit quand on approche du gîte! Combien un repas grossier paraît savoureux! Avec quel plaisir on se repose à table! Quel bon sommeil on fait sans un mauvais lit!

Quand on ne veut qu'arriver, on peut courir en chaise de poste; mais quand on veut voyager, il faut aller à pied.»

Jean-Jacques Rousseau
Émile, ou De l'éducation

Livre V, 1762

 

 

9 décembre 2008

Franck Michel analyse la marche

 

« La marche à l'origine du voyage
Le voyage à pied permet de retrouver les traces des hommes effacées par le passage fulgurant des véhicules à moteur. Marche requiert à la fois de l'effort et de la patience, deux vertus occultées en notre société, à la fois de confort et de consommation. Randonner éveille en nous les sens enfouis par le brouhaha des cités et le brouillage des esprits. La marche préfère les chemins de traverse, et lorsque son itinéraire bifurque pour aller s'engager sur la vraie route, c'est pour devenir un sport. [...]
N'ôtant rien au spectacle de la nature, au contraire, la lenteur du périple réclame de la patience de la part du pèlerin en vadrouille. Le voyage éveille le sentiment d'humanité pour celle ou celui qui sait en saisir la chance. [...]

La marche comme philosophie hédoniste
La marche est encore un domaine onirique et mouvant dans un monde saturé d'images et de rationalité pesante.
Telle un défi à la vitesse et au bruit, la marche incite à la modestie, pousse à la curiosité, encourage au silence, suscite la méditation. Elle invite au repli, à l'intimité, à se taire pour mieux écouter: «Dans notre contexte historico-social, l'homme en silence est un homme sans sens. Pour fuir ce risque, il se remplit de mots: il parle» (E. Orlandi, Les formes du silence. 1994). En déjouant le trop-plein de mots vidés de sens, la marche redonne sa place au silence. Elle est une forme douce et délicate du voyage, qui se transforme à son contact en art aussi noble que discret. La randonnée est une école de vie paisible, dans laquelle la nature enseigne le respect et guide le bon sens. [...]
Au plus profond de la marche se trouve la possibilité de remettre en cause toutes les vérités trop vite érigées en dogme.»

Franck Michel
Voyage au bout de la route
Éditions de l'Aube, 2004

 

 

8 décembre 2008

Le retour des flâneurs

 

Nous n'avons pas abusé des courriers ces derniers mois, n'est-ce-pas?
Et vous, pas beaucoup des commentaires, non? Alors, on est quittes! On espère beaucoup vous revoir à bord bientôt, comme nous y serons nous aussi, dès le 12 décembre et pour un mois.

Nous serons au Portugal, à la poursuite de la lenteur perdue, à la recherche des minutes de temps libre, de temps sacré, du temps béni des congés.
800px_Fortaleza_de_Sagres_Rosa_dos_Ventos

 

 

La rose des vents de la forteresse de Sagres
À la pointe sud-ouest du Portugal -- et de l'Europe --, Sagres était au XVe siècle un important centre de sciences et le lieu de départ de formidables explorations maritimes, la plupart commandées par Dom Henrique dit le Navigateur.
L'image est symbolique à souhait pour nous!

Merci Wikimedia pour la photo!

 

 

 

 

 

 

 

Le seul programme est de ne point en avoir. Nous serons de passage dans Lisbonne, la capitale séculaire, puis quelque part vers l'est, en Alentejo, où sont les bons vins, puis un peu au centre, vers Coimbra, où sont les bons amis; au sud, vers le «soleil» hivernal du Portugal puis de retour à Lisbonne en début de janvier. Pas ou peu de dates, pas ou peu de jours, pas ou peu d'heures.
À pieds, comme il se doit. Ou alors un peu de train, mais un peu. Et d'autocar aussi, mais si peu!

Nous savons que l'offre de randonnée au Portugal est peu développée. Le grand parc national de Peneda-Gerês, au nord du nord, concentre presque toutes les attentions à ce sujet mais c'est l'hiver là aussi! La neige, on la laisse ici. On ira donc marcher ailleurs, avec autant de bonheur mais davantage de chaleur. Nous savons tous que les sentiers ne sont pas nécessaires à la marche!

Comme en Bretagne de l'an de grâce, il y aura peut-être quelques messages de nouvelles ici et là selon la disponibilité d'Internet, quelques photos pour colorer les mots et possiblement une pensée ou deux sur le sens du voyage lent et de la mobilité retrouvée.

Ce sera pour nous. Mais on souhaite tellement le partager avec vous,  notre manière de vous emmener en voyage dans notre petit carnet de la poche droite, bien au chaud avec les péripéties de la journée, les bons plans et les belles rencontres, un peu de la météo, des menus, des noms de vins, des mots imprononçables et des verbes conjugués à l'imparfait de lusophonie!

En voiture: départ dans 5, 4, 3...

 

 

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22 mai 2008

Christophe Lamoure marche

 

« La lenteur est-elle une vertu, un vice, une qualité, un défaut, une force, une faiblesse, un choix, un manque? C'est d'abord un mot magnifique qui sonne doucement et agréablement à mon oreille, qui évoque irrésistiblement la sensualité. Ce qui est lent est beau et se donne à voir et à apprécier pleinement. Chaque parcelle de la réalité qui s'offre à soi lentement prend toute sa dimension et ouvre sur un infini; plis et replis s'ouvrent et dévoilent des trésors aux sens jamais rassasiés.

Seule la lenteur nous plonge, dans un monde aux mille attraits, au creux d'une nature infiniment riche et divertissante. Le mouvement lent, car la lenteur est mouvement, expose le détail et la finesse des apparences que nous ne soupçonnions pas. La marche est un mouvement lent, et c'est à ce titre qu'elle nous introduit dans la diversité et la beauté du monde.

Nous cessons de traverser les apparences et nous commençons à les regarder, peut-être même, à l'usage, finissons-nous par savoir les contempler. L'activité de contemplation, la plus haute des occupations de l'être humain selon la  philosophie antique, est aujourd'hui discréditée et oubliée. Plus personne ne songe à entrer en contemplation parce que ce qui est réputé valoir, c'est la prise, la possession, l'assimilation.

L'aptitude à conserver une juste distance, par laquelle la chose vue n'est pas accaparée mais seulement admirée, devient une aptitude rare. La marche enseigne cet art grâce auquel le monde suscite le recueillement et le respect. L'aspiration à la beauté et à la sérénité rencontre une satisfaction profonde dans cette relation à la nature.

Enfin libérés de l'envie et de l'avidité, nous jouissons du monde tel qu'il est. Nous ne l'appréhendons plus sous le rapport de l'usage et de la propriété, nous le regardons comme ce qui était là avant soi, et nous éprouvons dans ce sentiment d'une réalité qui nous dépasse, une quiétude nouvelle. [...] Toute lenteur, et en particulier celle de la marche, présente cette caractéristique de faire son effet progressivement et de produire au final une impression d'une rare puissance parce qu'elle parcourt la totalité de l'être.»

Christophe Lamoure
Petite philosophie du marcheur
Éditions Milan, 2007

 

 

21 mai 2008

Carl Honoré s'égare

 

«[...] La majeure partie d'entre nous ne souhaite pas voir remplacer le culte de la vitesse par celui de la lenteur. La vitesse peut être amusante, productive et puissante, et nous nous retrouverions démunis sans elle. Ce dont le monde a besoin et qu'offre le mouvement de la lenteur, c'est une troisième voie, une recette mariant la dolce vita avec le dynamisme de l'ère de l'information. Son secret? L'équilibre: au lieu de faire tout plus vite, faire tout à la bonne vitesse. Quelquefois vite, quelquefois lentement, quelquefois, un peu des deux. L'attitude lente consiste à ne jamais se hâter, à ne jamais chercher à gagner du temps par principe. Elle suppose de rester calme et serein, quand même les circonstances nous forcent à accélérer. L'un des moyens de cultiver cette tranquillité intérieure est de faire place à des activités qui défient la vitesse - la méditation, le tricot, le jardinage, le yoga, la lecture, la marche, le chi-kong. [...]

Carl Honoré, Éloge de la lenteur, 2004

... et le flâneur des rivages réagit: Carl Honoré est un imposteur.

Non, pas « quelquefois vite, quelquefois lentement, quelquefois un peu des deux. »

On ne peut servir deux maîtres à la fois, la vitesse et la lenteur.

La vitesse, la hâte, la précipitation, le minutage perpétuel imposé par le «just in time», lui même commandé par la puissance de l'argent; la vitesse donc, est un fait artificiel de société occidentale ou occidentalisée, un fait de culture défini positivement comme le pouvoir de parcourir un grand espace ou d'accomplir une action, en peu de temps. On lui trouve de nombreux synonymes: célérité, rapidité, vélocité, diligence, hâte, promptitude. La lenteur elle, est un fait naturel individuel dirigé par le métabolisme. C'est une caractéristique intrinsèque de l'homme fabriqué par l'évolution pour aller à pieds, lentement. Le dictionnaire définit la lenteur négativement, comme le manque de promptitude, de rapidité, de vivacité, et lui associe les mots lambiner, traîner, épaisseur, lourdeur, pesanteur.

Non, on ne peut servir deux maîtres à la fois, de toute évidence.

La lenteur véritable n'est pas un état physique passager, comme le farniente d'un samedi après-midi pluvieux, peut-être goûté momentanément, ou d'un séjour en clinique, imposé par les circonstances. La lenteur n'est pas non plus un état d'esprit, appris, raisonné, répété et maîtrisé, une enrichissante discipline du jour, décrite avec plus ou moins de pertinence dans quelque manuel de psycho à quatre sous ou essai d'éloge, afin de se regagner une heure par ci, une plage d'agenda par là pour consacrer votre temps à l'activité physiquement lente du tricot ou du yoga, mieux, du sexe ou de la cuisine.

 

La lenteur est un état d'âme permanent, heureux, profondément enraciné dans l'être, senti à tout instant, expérimenté en toutes circonstances, reconquis de haute lutte par l'individu sur le règne du jour. Cette lenteur est tristement mortelle pour cent idées reçues depuis l'enfance, nos bases, nos racines, nos fondements; elle est psychologiquement déstabilisante pour l'essence même de l'Homo americanus que nous sommes. Mais on se remet bien de cette tristesse, de cette instabilité.

Pour ma part, je ne peux pas, je ne veux pas être un rapide qui ralentit mais bien plutôt un lent qui accélère. Pour cela, je ne puis qu'arrêter totalement, le temps nécessaire à retrouver pleinement ma lenteur originelle puis petit à petit, si et quand utile, activer le pas, lentement jusqu'à une limite, un seuil très bas. Alors que la vitesse interdit d'être lent sous peine d'être lambin, lourd, comme un épais, bêtement, la lenteur n'empêche pas d'aller vite, elle nous garde de se hâter, de nous précipiter, sagement.

On ne peut servir deux maîtres, ou alors on ment à l'un des deux, on se ment à soi-même.

 

 

18 décembre 2007

Pierre Sansot rêve

 

« J'ai besoin de silence pour réfléchir. Je n'ai pas honte de paraître inattentif à ce qui se trame autour de moi. Quelques parents me reprochent de ne pas répondre à leurs questions. C'est qu'ils ne me posent pas des questions qui me concernent et auxquelles, d'ailleurs, je n'ai pas de réponse. Comme je ne quitte guère mon appartement, ils mettent mon immobilité sur le compte de la fatigue et d'un manque de curiosité. Ils insistent d'une façon touchante. Le car attend. Ils me vantent son confort et un repas de qualité qui a été prévu pour le déjeuner de midi. Je les raccompagne en douceur jusqu'à leur bus. Ils ne se doutent pas que j'entreprends un autre voyage qui me mènera jusqu'à mon enfance. Mon passé n'a pas encore pris forme. Il me reste à le parcourir, à l'achever, à le vivre avec des couleurs plus vives. Je me permets de l'enjoliver en connaissance de cause: un peu plus d'or dans les moissons, une maîtresse d'école plus rieuse qu'elle ne fut et l'enclume du forgeron qui résonne avec plus de vigueur. Je condamne la porte de ma chambre. Lorsque j'ai été dérangé, j'ai de la peine à rejoindre mes vertes années. Il est des écrivains que leur famille se garde de divertir: « Attention, il écrit. » En ce qui me concerne, les miens devraient pousser un « chut » à l'arrivée d'un importun et dire: « Attention, il rêve. »

Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur, 1998

 

 

15 décembre 2007

Milan Kundera questionne

 

« Pourquoi le plaisir de la lenteur a-t-il disparu ? Ah, où sont-ils, les flâneurs d'antan ? Où sont-ils, ces héros fainéants des chansons populaires, ces vagabonds qui traînent d'un moulin à l'autre et dorment à la belle étoile ? Ont-ils disparu avec les chemins champêtres, avec les prairies et les clairières, avec la nature ? Un proverbe tchèque définit leur douce oisiveté par une métaphore : ils contemplent les fenêtres du bon Dieu. Celui qui contemple les fenêtres du bon Dieu ne s'ennuie pas ; il est heureux. Dans notre monde, l'oisiveté s'est transformée en désoeuvrement, ce qui est tout autre chose : le désoeuvré est frustré, s'ennuie, est à la recherche constante du mouvement qui lui manque.

[...] Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l'oubli. [...] Dans la mathématique existentielle, cette expérience [ralentir le pas pour se rappeler quelque chose, accélérer la marche pour oublier] prend la forme de deux équations élémentaires : le degré de la lenteur est directement proportionnel à l'intensité de la mémoire ; le degré de vitesse est directement proportionnel à l'intensité de l'oubli.

[...] De cette équation, on peut déduire divers corollaires. Par exemple celui-ci: notre époque s'adonne au démon de la vitesse et c'est pour cette raison qu'elle s'oublie si facilement elle-même. Or je préfère inverser cette affirmation et dire : notre époque est obsédée par le désir d'oubli et c'est afin de combler ce désir qu'elle s'adonne au démon de la vitesse ; elle accélère le pas parce qu'elle veut nous faire comprendre qu'elle ne souhaite plus qu'on se souvienne d'elle ; qu'elle se sent lasse d'elle-même; écoeurée d'elle-même ; qu'elle veut souffler la petite flamme tremblante de la mémoire. »

Milan Kundera, La lenteur, 1995

 

 

4 septembre 2007

... en gris

 

Le ciel nuageux, souvent pluvieux depuis... jusqu'à... en passant par... par... et par.

Tiens justement : les rideaux de pluie à la Pointe du Van. Chance que Benoît et Marie-Pierre soient à leur Gîte de Laouall...

Les pierres dressées de Carnac et leurs secrets millénaires.

Le célèbre granit des Abers, matériau du trivial mais spectaculaire viaduc ferroviaire IMG_1444de Daoulas, sur l'Ar Mignonn, et du prestigieux mais pas spectaculaire socle de l'obélisque de Louxor, Place de la Concorde à Paris.

La triste tour du moulin abandonné dans les friches de Plougastel-Daoulas.

 

Les huitres sauvages qui colonisent et tapissent les rochers littoraux de l'Ile de Tibidy et de tous les alentours.

 

Les toits de la ville basse de Morlaix depuis ses hauteurs, rue de la Vigne.

La caillasse grossière des sentiers des crêtes aux monts d'Arrée.

Le pont l'Iroise, et Brest ce jour-là.

La mer au Diben, prélude à la tempête.

Triste, le train qui m'emporte de Brest à Paris, loin de la Bretagne que j'aime tant.

 

 

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